Alors que depuis le 20 juin 2011 les
procès et les condamnations le
concernant se succèdent à un rythme soutenu à Tunis, l’ex-président
tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, est absent, en exil à Jeddah en
Arabie saoudite. Ce militaire a forgé l’essentiel de sa carrière au sein
des services de sécurité et du renseignement. Personnage de l’ombre,
Ben Ali est demeuré en 23 ans de pouvoir, et particulièrement vers la
fin de sa présidence, un homme insensible et faussement populaire. Son
portrait, placardé dans toute la Tunisie au fronton de la plus petite
échoppe est certes connu de tous mais sa vraie nature, elle, est restée
mystérieuse.
Cet enfant d’Hammam Sousse, une ville côtière au nord de la Tunisie, a vu le jour en 1936, sous le
protectorat français.
Quatrième d’une famille modeste de onze enfants (son père aurait été
gardien au port de Sousse), Zine el-Abidine (la beauté des croyants),
effectue de piètres études secondaires au lycée de garçons de Sousse.
Celui qu’on surnommait
«Bac moins 3», n’est effectivement pas devenu bachelier.
Il ne s’intéresse pas aux arts, n’a pas les qualités d’un
autodidacte, ne lit pas et n’aime pas les intellectuels, une haine des
lettres et des arts qui perdurera durant son règne. Son double
engagement dans l’armée et le parti indépendantiste
Néo-Destour lui offre en 1956 une seconde chance. Au cours de sa vie lycéenne, Ben Ali suit les traces de son ami d'enfance
Hédi Baccouche, un militant aguerri qui restera l'un de ses plus proches alliés et qui deviendra son Premier-ministre.
Le jeune Ben Ali bénéficie d'une formation d'officier, lors d'un bref
passage à l’Ecole militaire française interarmes de Saint-Cyr (
EMIA) en
1956. Il est admis dans une promotion parallèle exceptionnelle en
hommage à la récente indépendance tunisienne. Mais cette promotion
particulière baptisée
«Bourguiba», ne comprend qu’une poignée d’officiers tunisiens parmi lesquels Ben Ali ne s'est pas
intégré. Il achève sa formation avec un diplôme d’ingénieur électronicien obtenu aux Etats-Unis:
«Mon intérêt pour l’informatique, a eu une incidence heureuse sur
ma façon de travailler; cela m’a donné un goût prononcé pour la
logique, la rigueur de l’analyse et une vision prospective planifiée,
loin de toute improvisation.»
Premières armes en politique
De retour en Tunisie, il est affecté au service du colonel Kéfi, un
ancier officier de l'armée française devenu le chef d'état-major de
l'armée tunisienne, dont il épouse la fille en 1964, Naïma Kéfi. Un
amour stratégique qui lui vaut d’être à 28 ans le directeur de la Sécurité militaire, poste qu’il occupe jusqu’en 1974.
Père de six enfants, dont trois filles nées de son premier mariage,
Ben Ali se trouve particulièrement à son aise au sein des services de
renseignement, sa fonction consistant à assurer la surveillance des
casernes. Il est à un poste qui convient à sa nature timide et taciturne
et qui le garde à distance des chefs de l’armée.
Ben Ali n’est pas vraiment inconnu des Tunisiens. Il apparaît pour la
première fois sur la scène politique en 1974, à l’occasion de l’
Union tuniso-libyenne et
la naissance de la République arabe islamique proclamée par Habib
Bourguiba et le colonel Kadhafi. C’est là que le général Zine el-Abidine
Ben Ali se forge une réputation de militaire impassible et de référent
en matière de sécurité. Mouammar Kadhafi avance son nom pour diriger
l’ensemble des services de renseignement et de la sécurité militaire de
cette union éphémère des deux pays voisins (de 1973 à 1974). Une fois la
République arabe islamique enterrée et les relations avec la
Libye refroidies,
les conseillers de Bourguiba invitent ce dernier à écarter Ben Ali du
pouvoir. Zine el-Abidine se contente d’un poste d’attaché militaire à
Rabat, au
Maroc, où il découvre les délices de la
dolce vita marocaine mais entretient des relations exécrables avec le roi Hassan II.
Il marque son retour au pays quelques années plus tard en 1978, date à laquelle l’agitation sociale menace le régime du «
Combattant suprême»,
Habib Bourguiba. Opportuniste, Ben Ali sent le vent tourner. Il prend
en charge la Sûreté générale, alors que Bourguiba lutte pour laisser
l’armée en dehors de la politique. Un poste clé sur lequel Zine
el-Abidine s’installe pendant trois ans.
Mais alors qu’il se croit définitivement ancré au gouvernement, il
commet une erreur qui lui coûte son poste: un commando libyen investit
la ville de Gafsa, dans le Sud tunisien, et y séjourne en toute
impunité, sans que les responsables de la sûreté générale s’en
aperçoivent. Il est aussitôt limogé par Bourguiba et envoyé à Varsovie
en
Pologne en mars 1980 en tant qu’ambassadeur. Il revient en Tunisie en décembre 1983, lors de la «
révolte du pain» qui officialise la rupture entre les Tunisiens et
Bourguiba.
Abandonné, Habib Bourguiba a justement besoin de rigueur militaire et
d’expertise en matière de renseignement et rappelle Ben Ali à ses côtés à
la direction de la Sûreté générale.
Dès lors, son ascension au sein du gouvernement tunisien est
fulgurante. La lutte contre les islamistes qui menacent le régime et le
climat de crise sociale, propulsent alors Ben Ali vers le sommet du
pouvoir au plus proche de Bourguiba. Après les émeutes de 1984, il passe
respectivement de secrétaire d’Etat à la Sûreté, puis ministre de
l’Intérieur au sein du gouvernement de
Rachid Sfar au poste de Premier ministre le 2 octobre 1987.
Installé à la présidence tunisienne depuis l’indépendance du pays en
1956, Habib Bourguiba est malade, s’enferme dans son palais et règne
plus qu’il ne gouverne. Grâce à un
«coup d’Etat médical», Ben Ali écarte
«sans violence ni effusion de sang», le 7 novembre 1987, le père de l’indépendance devenu sénile. Selon la formule consacrée, Ben Ali
«dépose» Bourguiba. Les journalistes
Nicolas Beau et
Jean-Pierre Tuquoi, dans leur livre
«Notre ami Ben Ali», donnent leur version des faits (page 45):
«Sept medecins, dont deux militaires, sont convoqués en pleine
nuit, non pas au chevet du malade mais, là encore, au ministère de
l'Intérieur. Parmi eux se trouve l'actuel médecin du président, le
cardiologue et général Mohamed Gueddiche. Ben Ali somme les
représentants de la Faculté d'établir un avis médical d'incapacité du
président. "Je n'ai pas vu Bourguiba depuis deux ans", proteste un des
médecins. "Cela ne fait rien, signe", tranche le général (Ben Ali)».
Le premier discours présidentiel est rédigé par Hédi Baccouche. Les
Tunisiens observent ce militaire inconnu à la carrure de déménageur et
écoutent en silence Ben Ali leur promettre sur les ondes de la radio
nationale une rupture avec l’ancien régime:
«Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée, fondée
réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de
masse. L'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à
vie ni succession automatique à la tête de l'Etat qui excluraient le
peuple».