vendredi 29 juillet 2011

Ben Ali : premières armes

Alors que depuis le 20 juin 2011 les procès et les condamnations le concernant se succèdent à un rythme soutenu à Tunis, l’ex-président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, est absent, en exil à Jeddah en Arabie saoudite. Ce militaire a forgé l’essentiel de sa carrière au sein des services de sécurité et du renseignement. Personnage de l’ombre, Ben Ali est demeuré en 23 ans de pouvoir, et particulièrement vers la fin de sa présidence, un homme insensible et faussement populaire. Son portrait, placardé dans toute la Tunisie au fronton de la plus petite échoppe est certes connu de tous mais sa vraie nature, elle, est restée mystérieuse.
Cet enfant d’Hammam Sousse, une ville côtière au nord de la Tunisie, a vu le jour en 1936, sous le protectorat français. Quatrième d’une famille modeste de onze enfants (son père aurait été gardien au port de Sousse), Zine el-Abidine (la beauté des croyants), effectue de piètres études secondaires au lycée de garçons de Sousse. Celui qu’on surnommait «Bac moins 3», n’est effectivement pas devenu bachelier.
Il ne s’intéresse pas aux arts, n’a pas les qualités d’un autodidacte, ne lit pas et n’aime pas les intellectuels, une haine des lettres et des arts qui perdurera durant son règne. Son double engagement dans l’armée et le parti indépendantiste Néo-Destour lui offre en 1956 une seconde chance. Au cours de sa vie lycéenne, Ben Ali suit les traces de son ami d'enfance Hédi Baccouche, un militant aguerri qui restera l'un de ses plus proches alliés et qui deviendra son Premier-ministre.
Le jeune Ben Ali bénéficie d'une formation d'officier, lors d'un bref passage à l’Ecole militaire française interarmes de Saint-Cyr (EMIA) en 1956. Il est admis dans une promotion parallèle exceptionnelle en hommage à la récente indépendance tunisienne. Mais cette promotion particulière baptisée «Bourguiba», ne comprend qu’une poignée d’officiers tunisiens parmi lesquels Ben Ali ne s'est pas intégré. Il achève sa formation avec un diplôme d’ingénieur électronicien obtenu aux Etats-Unis:
«Mon intérêt pour l’informatique, a eu une incidence heureuse sur ma façon de travailler; cela m’a donné un goût prononcé pour la logique, la rigueur de l’analyse et une vision prospective planifiée, loin de toute improvisation.» 

Premières armes en politique

De retour en Tunisie, il est affecté au service du colonel Kéfi, un ancier officier de l'armée française devenu le chef d'état-major de l'armée tunisienne, dont il épouse la fille en 1964, Naïma Kéfi. Un amour stratégique qui lui vaut d’être à 28 ans le directeur de la Sécurité militaire, poste qu’il occupe jusqu’en 1974.
Père de six enfants, dont trois filles nées de son premier mariage, Ben Ali se trouve particulièrement à son aise au sein des services de renseignement, sa fonction consistant à assurer la surveillance des casernes. Il est à un poste qui convient à sa nature timide et taciturne et qui le garde à distance des chefs de l’armée.
Ben Ali n’est pas vraiment inconnu des Tunisiens. Il apparaît pour la première fois sur la scène politique en 1974, à l’occasion de l’Union tuniso-libyenne et la naissance de la République arabe islamique proclamée par Habib Bourguiba et le colonel Kadhafi. C’est là que le général Zine el-Abidine Ben Ali se forge une réputation de militaire impassible et de référent en matière de sécurité. Mouammar Kadhafi avance son nom pour diriger l’ensemble des services de renseignement et de la sécurité militaire de cette union éphémère des deux pays voisins (de 1973 à 1974). Une fois la République arabe islamique enterrée et les relations avec la Libye refroidies, les conseillers de Bourguiba invitent ce dernier à écarter Ben Ali du pouvoir. Zine el-Abidine se contente d’un poste d’attaché militaire à Rabat, au Maroc, où il découvre les délices de la dolce vita marocaine mais entretient des relations exécrables avec le roi Hassan II.
Il marque son retour au pays quelques années plus tard en 1978, date à laquelle l’agitation sociale menace le régime du «Combattant suprême», Habib Bourguiba. Opportuniste, Ben Ali sent le vent tourner. Il prend en charge la Sûreté générale, alors que Bourguiba lutte pour laisser l’armée en dehors de la politique. Un poste clé sur lequel Zine el-Abidine s’installe pendant trois ans.
Mais alors qu’il se croit définitivement ancré au gouvernement, il commet une erreur qui lui coûte son poste: un commando libyen investit la ville de Gafsa, dans le Sud tunisien, et y séjourne en toute impunité, sans que les responsables de la sûreté générale s’en aperçoivent. Il est aussitôt limogé par Bourguiba et envoyé à Varsovie en Pologne en mars 1980 en tant qu’ambassadeur. Il revient en Tunisie en décembre 1983, lors de la «révolte du pain» qui officialise la rupture entre les Tunisiens et Bourguiba. Abandonné, Habib Bourguiba a justement besoin de rigueur militaire et d’expertise en matière de renseignement et rappelle Ben Ali à ses côtés à la direction de la Sûreté générale.
Dès lors, son ascension au sein du gouvernement tunisien est fulgurante. La lutte contre les islamistes qui menacent le régime et le climat de crise sociale, propulsent alors Ben Ali vers le sommet du pouvoir au plus proche de Bourguiba. Après les émeutes de 1984, il passe respectivement de secrétaire d’Etat à la Sûreté, puis ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement de Rachid Sfar au poste de Premier ministre le 2 octobre 1987.
Installé à la présidence tunisienne depuis l’indépendance du pays en 1956, Habib Bourguiba est malade, s’enferme dans son palais et règne plus qu’il ne gouverne. Grâce à un «coup d’Etat médical», Ben Ali écarte «sans violence ni effusion de sang», le 7 novembre 1987, le père de l’indépendance devenu sénile. Selon la formule consacrée, Ben Ali «dépose» Bourguiba. Les journalistes Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, dans leur livre «Notre ami Ben Ali», donnent leur version des faits (page 45):
«Sept medecins, dont deux militaires, sont convoqués en pleine nuit, non pas au chevet du malade mais, là encore, au ministère de l'Intérieur. Parmi eux se trouve l'actuel médecin du président, le cardiologue et général Mohamed Gueddiche. Ben Ali somme les représentants de la Faculté d'établir un avis médical d'incapacité du président. "Je n'ai pas vu Bourguiba depuis deux ans", proteste un des médecins. "Cela ne fait rien, signe", tranche le général (Ben Ali)».
Le premier discours présidentiel est rédigé par Hédi Baccouche. Les Tunisiens observent ce militaire inconnu à la carrure de déménageur et écoutent en silence Ben Ali leur promettre sur les ondes de la radio nationale une rupture avec l’ancien régime:
«Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse. L'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'Etat qui excluraient le peuple».

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